Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 11-18.
Jésus disait aux Juifs : » Je suis le bon pasteur (le vrai berger). Le vrai berger donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire, lui, n’est pas le pasteur, car les brebis ne lui appartiennent pas : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur. Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour la reprendre ensuite. Personne n’a pu me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. «
Une image dépréciée
Voilà des propos du Christ qui risquent de passer difficilement de nos jours. Pour quantité de raisons. D’abord, bien sûr, parce que nous ne sommes plus dans une civilisation pastorale dans laquelle l’image du berger était parlante. Il était courant de l’employer pour désigner les chefs, les rois, les responsables. Les grands ancêtres du peuple juif étaient tous des bergers. Non seulement Abraham, Isaac et Jacob, mais jusqu’au grand roi David. Mais de nos jours, les gouvernants qui ont eu la prétention d’être les guides de leurs peuples ont pour la plupart laissé une sinistre réputation, qu’ils soient führer, duce, conducator petit père des peuples ou guide suprême. Par ailleurs, nos contemporains n’accepteront jamais d’être comparés à des troupeaux. Nous ne sommes pas les moutons de Panurge dont parle Rabelais. Du moins le pensons-nous ! Aujourd’hui on est davantage sensible à la différence, au multiple, au rebelle et au marginal. On n’acceptera jamais de nous fondre dans un concert de bêlements débiles. Donc, nous avons à faire ici à une image dépréciée. Ce qui nous oblige, pour en saisir toute la signification et toute l’importance, à faire un certain nombre de remarques.
Des divisions
Première remarque : l’évangile de Jean, qui nous rapporte les propos de Jésus, poursuit son récit en nous signalant que les premiers auditeurs, eux aussi, ont très mal reçu le message. Alors que Jésus promettait, sous sa houlette, « un seul troupeau et un seul pasteur », voilà que les gens commencent immédiatement à se diviser. « Les Juifs furent de nouveau divisés à cause de ces paroles », dit l’évangéliste, certains déclarant que Jésus est possédé du démon, et d’autres qu’il ne parlerait pas ainsi s’il était possédé. Brouille, controverse, division. Pitoyable spectacle de brebis qui se chamaillent aux pieds du bon pasteur ! Jésus prêche l’unité, le rassemblement, et voilà l’éclatement et la dispersion !
Il me connaît
Deuxième remarque : chacun de nous est connu personnellement du bon pasteur, dit Jésus.. Pour celui qui a eu la chance de rencontrer l’un de ces bergers qui gardent de grands troupeaux dans les alpages, cela ne l’étonnera pas. Alors que pour nous, les moutons ne forment qu’un ensemble, un tas de moutons, le berger, lui, connaît personnellement chacune des bêtes. Il sait reconnaître chacune d’elles. C’est son métier. La comparaison que Jésus s’applique à lui-même lorsqu’il dit qu’il connaît ses brebis va beaucoup plus loin, parce qu’il ajoute qu’il les connaît comme le Père le connaît et qu’il connaît le Père. Il s’agit là d’une relation beaucoup plus étroite que lorsqu’on dit, par exemple, « Celui-là, je le connais. » Il s’agit d’une relation d’amour réciproque. N’oublions pas que dans le langage sémitique, on emploie le verbe connaître pour dire la relation amoureuse, la relation sexuelle. C’est de cette connaissance pleine d’amour que je suis connu du Berger. C’est important. Chacun de nous cherche à être reconnu par la société, à se faire remarquer, et pour cela, à sortir du lot, à sortir de l’anonymat. Au besoin en marquant bien sa différence et ses désaccords. Mais qu’est-ce qui est le plus important ? Etre connu des gens, ou être connu de Dieu ? Jésus nous explique comment faire pour être connu de Dieu. Il dit simplement : « Mes brebis écoutent ma voix et moi je les connais. » C’est important. Pas besoin d’être un héros, un fort en thème ou une vedette. Il suffit d’écouter. C’est un bon conseil que Jésus nous donne aujourd’hui pour sortir de l’uniformité : il suffit d’écouter sa parole. Elle ne passe pas bien aujourd’hui ? Tant mieux : ce qui passe est vite dépassé ! La Parole, elle, demeure. Eternellement.
Il donne la vie
Une troisième remarque nous est suggérée par cette autre parole du Berger : « Je donne ma vie pour mes brebis. » En son sens premier, et d’après le contexte, il s’agit bien sûr de comprendre que Jésus est capable de mourir pour nous, comme un berger qui se sacrifiera pour sauver ses brebis du loup ravisseur. Donc, en ce sens, Jésus donne sa vie pour l’humanité. Mais on sait bien que « donner sa vie » ne signifie pas uniquement « mourir pour ». Chaque jour, une maman donne un peu – beaucoup – de sa vie pour ses enfants. Et nombreux sont celles et ceux qui consacrent leur vie entière pour de nobles causes humanitaires. Je crois qu’il faut aller plus loin. Non seulement Jésus donne SA vie, mais il donne LA vie. Il nous communique sa propre vie. Ce qui signifie beaucoup plus que d’être prêt à mourir pour nous. Toute sa vie nous est consacrée d’une façon purement désintéressée, par amour, et non en vue d’un salaire. Il nous aime plus que sa propre vie. Quand Jean rédige son évangile, il y a près de 70 ans que Jésus a donné sa vie pour nous en mourant sur la croix. C’est à ce geste suprême d’amour qu’il pense en rapportant les propos du Maître : Jésus avait donné SA vie pour nous donner LA vie.
Le beau berger
Je voudrais faire, pour aujourd’hui, une dernière remarque. Je ne sais pas pourquoi tout le monde traduit les paroles authentiques de Jésus par ces mots : « Je suis le bon pasteur », alors que le texte grec doit se traduire par « Je suis le beau pasteur. » (o poimèn o kalos). Vous me direz qu’il n’y a pas tellement de différence entre le beau et le bon, car est véritablement beau ce qui est bon. Ce qui est vrai, authentique. « Ce n’est pas beau, ce qu’il a fait là », dit-on en apprenant tel geste mauvais ou telle malhonnêteté. C’est dans ce sens que Jésus est un « beau berger ». Dostoïewski écrivait que « la beauté sauvera le monde ». En écrivant cela, est-ce qu’il pensait au beau berger qui a donné sa vie pour l’humanité ?
extrait du site http://leon.paillot.pagesperso-orange.fr/