L’avenir est ouvert
Rappelez-vous les circonstances de votre vie où vous étiez engagés dans une conversation et brusquement vous avez pris conscience que la parole reçue était celle que, sans le savoir, vous attendiez. Réciproquement rappelez-vous les moments où vous preniez conscience que le message que vous vouliez transmettre avait touché juste. On discerne comme une lumière sur le visage de son interlocuteur. Je pense aux enseignants ; il leur faut parfois beaucoup de patience pour expliquer, reprendre, insister afin de rejoindre des esprits dissipés, peu enclins à recevoir la leçon. Il arrive pourtant que, sans qu’on sache pourquoi, l’esprit s’éveille, les yeux s’éclairent, les visages se tendent ; ils sont véritablement présents. Quelle joie pour le professeur à ces instants-là. Ces circonstances privilégiées sont parfois celles où une parole va bouleverser la vie ; je pense à ces moments où un jeune homme, une jeune femme entendent l’autre dire la parole d’amour qui va décider de l’avenir. Le premier « je t’aime » qui entraîne une réponse, manifeste une attente intérieure qui parfois s’ignorait mais qui ouvre un avenir prometteur.
Dans ce discours après la Cène, la parole produit, entre le Maître et ses disciples, un travail de ce genre. Jésus est pris dans un long dialogue avec ses disciples et, pour une fois, les propos qu’il tient atteignent leur but. Que d’incompréhensions, que de lenteurs à recevoir le message. Après la Transfiguration, ils se demandaient entre eux « ce que pouvait bien signifier : ressusciter d’entre les morts. » Rappelez-vous leur réaction après le récit de la parabole du semeur ; apparemment Jésus a parlé dans le vide ; ils l’entourent : « explique-nous ce que tu as dit ! ». Jésus s’impatientait parfois : « Esprits lents à croire ! » Mais voilà qu’à cette heure où nous conduit la lecture de ce jour, « à cette heure où il passait de ce monde à son Père », les disciples sont vraiment rejoints par celui qui va les quitter. Les questions et les réponses se croisent et lorsque cet entretien se termine, juste avant la longue prière de Jésus, « ses disciples lui disent : « voilà que maintenant tu parles en clair et sans figures ! »(16/27). Ce sont les dernières paroles qu’ils prononcent avant les retrouvailles qui suivront la Résurrection. Certes, dans les heures qui viennent, pendant les heures du procès et de la Passion, l’écart sera grand entre Jésus et ses amis. Mais il fallait que Jean rapporte ce dernier dialogue ; cette illumination du Jeudi ouvrait l’avenir, le temps où nous sommes maintenant : « Celui qui croit en moi accomplira les mêmes oeuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes ».
Trouver le chemin
Il est bon de s’attarder sur cet échange que la liturgie vient de nous rapporter. Il éclaire le mystère des relations humaines à l’intérieur desquelles nous sommes pris. Entre les uns et les autres, une distance est à franchir. Jésus et les siens se côtoient depuis longtemps. Il y a pourtant un chemin à parcourir encore pour qu’ils se rencontrent : pour qu’ils en viennent à se rejoindre, pour qu’ils soient en vérité là où il est, il convient de se mettre en marche ; au terme, les disciples seront là où est leur maître, celui-ci le promet « Là où je suis, vous y serez aussi. Pour aller où je m’en vais, vous connaissez le chemin ». Les parents dont les enfants grandissent sont bien placés pour comprendre cette situation. Pendant les premières années, père et mère n’ont aucun mal à comprendre les enfants qu’ils voient grandir. Arrive le temps où se creusent les distances et où l’on ne comprend plus : comment se rejoindre ? C’est la question de Thomas : « Nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ? ». L’histoire d’une amitié, l’histoire d’un amour passent toujours par des questions de ce genre ; l’histoire de l’humanité tout entière est prise dans cette question.
Méditez les propos de Jésus ; il est lui-même le chemin. Le Verbe sort du Père pour rejoindre l’Humanité. Sortir ou se mettre en chemin : les deux expressions sont équivalentes. Sortir du Père, dans la cohérence évangélique, revient à sortir de son propre désir, à abandonner ses propres attentes pour ne vivre que des attentes de l’autre (« Que ta volonté soit faite et non la mienne »). Jésus réalise à la perfection cette sortie qui lui permet de nous rejoindre, au Nom du Père. Pour les disciples, poser les yeux sur le visage de celui qui sera bientôt crucifié, c’est reconnaître le Père. Etre témoin des oeuvres qu’il accomplit, c’est déceler le travail porté par le désir du Père.
Le chemin qui conduit vers autrui
Entrer dans le travail du Père, aujourd’hui, c’est prendre ce même chemin ; c’est passer par le chemin de Jésus. Croire en Lui, c’est se laisser prendre dans la même cohérence. C’est aller là où, sortant de soi, on répond à l’attente de l’Autre ou, ce qui revient au même, c’est aller là où la parole d’un autre risque de nous rejoindre et de faire jaillir la joie. Lorsque nous sommes croyants et que nous sommes conduits là où la parole fait merveille, nous avons à reconnaître ce travail du Père et cette dimension trinitaire dans laquelle nous sommes pris. Franchir les distances qui nous séparent, c’est accepter de vivre là où, abandonnant nos rêves ou nos illusions de bonheur, nous nous laissons prendre par ce désir qui, manifesté naguère dans la vie du Fils de Marie, prend chair aujourd’hui dans nos propres vies mortelles animées de l’Esprit du Père que Jésus nous donne.
Prenons le chemin qui nous conduit les uns vers les autres, laissons-nous prendre par l’Esprit et nous reconnaîtrons la pertinence des mots de Jésus : « Celui qui croit en moi, accomplira les mêmes oeuvres que moi »
Michel Jondot (extrait du site : www.dieumaintenant.com )