Luc 9,11-17

Jésus parle aux foules du Règne de Dieu. Quel est le contenu de son discours ? Ses auditeurs, nourris de
l’Ancien Testament savent déjà que ce Règne n’est pas proprement un lieu mais une relation particulière entre Dieu et les hommes, spécialement les pauvres et les petits. Jésus proclame qu’il est tout proche, il est même déjà arrivé. Ceux qui espéraient qu’il leur apporterait des mille et des cents seront bien déçus, il apporte mieux que la richesse, il apporte la paix et l’amour. Il est là et se présente comme une semence qu’il revient à chacun de faire grandir. Elle dans le cœur de chacun.

Aujourd’hui nous pouvons connaître des moments de ce règne. Chaque fois que des hommes et des femmes se rencontrent et vivent des moments où la division, la violence sont absentes mais seuls sont présentes l’écoute, le partage, le service…

Voici un exemple. C’était samedi dernier dans la soirée. La fanfare de Dreuil avait organisé sa fête annuelle. Les gens sont venus nombreux. Après quelques morceaux de musique, vint le temps du repas. Beaucoup étaient heureux de se retrouver, et d’autres de se sentir reconnus, accueillis. Les conversations fusaient. Une jeune grand-mère annonçait la naissance d’un premier petit-fils, une femme racontait la vie de son fils parti en Espagne, un pied-noir contait sa joie d’avoir vécu une rencontre avec des algériens de passage… Ces multiples annonces fusaient, simplement. Tous s’en trouvaient heureux.

Le repas était assuré par des volontaires particulièrement attentifs, ceux qui étaient assis étaient servis comme de véritables amis, ils exprimaient leur satisfaction à ceux qui les servaient. Le climat d’amitié qui s’était installé rapidement s’affermissait avec les heures qui passaient. Ils n’étaient pas rares ceux qui se levaient de table pour témoigner de leur attention à l’un ou l’autre présents.

Des musiciens reprirent leur instrument pour exécuter quelques notes. Elles venaient souligner le climat de la fête. Un prêtre présent, sur l’invitation d’un sonneur, prit alors son cor et fit entendre quelques notes. Peu, mais assez pour que surgisse un tonnerre d’applaudissements… Point d’orgue d’une véritable célébration… Il n’est pas certain que dans l’une ou l’autre conversation il ait cependant été question de Dieu, mais il était là. Présent en ce moment de Règne où les annonces fusaient, où le service était continuellement attentif et où chacun pouvait se féliciter d’être partie prenante de cette heureuse célébration.

Annonce, service, célébration, sont trois aspects de la vie auxquels l’Eglise est particulièrement attentive. Elle aurait la tentation de penser qu’elle est seule à les vivre. Elle se félicite quand des chrétiens annoncent Jésus Christ, le célèbrent et rendent aux hommes les services dont ils ont besoin pour éprouver quelques joies.

Et… si l’Eglise, présente au monde, comme Vatican II le lui a recommandé et comme le pape François lui rappelle sans cesse, commençait par être attentive à toutes les richesses qui embellissent la vie des hommes et si elle trouvait sa joie en les leur révélant ! Tout d’abord, au lieu de se plaindre de ce qui ne va pas et des laideurs qui défigurent le monde, elle s’en réjouirait. Elle mettrait sa joie à révéler aux hommes combien ils sont capables de rendre belle leur vie.

Ce samedi soir était la veille de la fête du Saint Sacrement. Qui pense, quand ces mots sont prononcés, que les chrétiens peuvent être Saint Sacrement. Le grand théologien Y.Congar disait que chacun est « sacrement personne ». Il faisait référence aux « sacrements-choses » que sont les sept sacrements où les objets sont nécessaires, eau, huile, pain, vin… Ils sont signes de l’action du Seigneur. Celui qui a reçu les sacrements devient lui-même sacrement parce qu’il est habité par le Seigneur. Le Seigneur a fait de lui sa demeure !

Il est donc possible de penser que la présence des chrétiens au milieu des hommes est le premier lieu pour que les annonces, les services et les célébrations se croisent, celles des hommes et celles que propose l’Eglise. Les annonces des hommes rejoindront celles des contemporains de Jésus qui lui parlaient des évènements. Ceux qui les vivaient alors pouvaient se reconnaître dans ses paraboles riches de la vie des champs, de la mer, du climat, de la santé… Les services de nos contemporains rejoindront les services de ceux qui croisaient la route de Jésus et le remplissaient de joie comme il aimait le souligner. Le chapitre 25 de Matthieu nous l’apprend avec force : « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait ». Révélation étonnante pour tous ceux qui se sentirent alors concernés… Les célébrations enfin auxquelles l’Eglise invite les hommes, seront riches des nombreuses célébrations qui les rassemblent ordinairement pour fêter un temps heureux ou se réconforter dans les heures de peine.

Que s’est-il passé dans cet endroit désert où Jésus multiplia les pains ? Il parlait du Règne, quand le soir
tombait. C’est alors que les disciples s’inquiétèrent. Certainement remplis de bonnes intentions, ils le
pressèrent de renvoyer la foule. Il se faisait tard, la faim bientôt se ferait faire sentir et le sommeil vite
réclamerait ses droits. Dans un désert, il n’y a évidemment rien à manger et les conditions sont trop précaires pour y passer la nuit.

Intervenant ainsi, les disciples ne se rendent pas compte qu’ils commettent une lourde faute. Jésus est occupé à parler du Royaume et ils l’interrompent. Ce n’est pas d’une impolitesse qu’il s’agit, ils empêchent Jésus d’être ce qu’il est. Quand il dit, il fait. Leur intervention mettrait Jésus en incapacité de faire. Faire que sa parole devienne pain. Il ne va donc pas suivre leur conseil mais il va les inviter à « donner à manger » à la foule.

Cette invitation doit leur paraître contradictoire. Il y a quelques jours il leur avait recommandé de partir en mission sans rien prendre, ni pain, ni argent… Comment pourraient-ils donc donner à manger à la foule ? Ils sont même tellement décontenancés qu’ils se proposent « d’aller acheter de la nourriture pour tout ce peuple ». Comment le pourraient-ils puisqu’ils sont aussi sans argent dans leur besace !

Alors Jésus va faire preuve de son autorité. Il intime l’ordre à ses disciples de faire asseoir la foule par groupes de cinquante. Et voilà que les douze qui avaient voulu l’interrompre vont devenir ses relais. D’opposants ils deviennent partenaires. Ils s’exécutent et s’apprêtent à distribuer les pains et les poissons.

Mais avant, Jésus « lève les yeux au ciel, prononce la bénédiction et rompt les pains ». Le Père est présent, ce pain partagé fera de cette foule un peuple de frères. L‘abondance est telle qu’il reste un panier pour chacun des disciples. Ils étaient opposants, ils étaient devenus partenaires, ils continueront désormais son œuvre à travers l’histoire…

Quel fut le plus grand miracle ce jour-là ? La multiplication des pains ou la conversion des disciples ? L’autorité de Jésus est telle qu’il peut changer les cœurs les plus durs… C’est sans doute plus fort encore que de multiplier des pains…

Et nous, qui avons le cœur dur, comment serons-nous partenaires ? Par la qualité de notre présence au monde, attentifs à discerner tout ce que les hommes vivent de beau et qui, en réalité est le premier pain de leur vie. Ce pain, ils le pétrissent par leurs annonces, leurs célébrations et leurs services. C’est ce pain que nous prendrons dans nos mains, et nous remercierons Dieu des merveilles dont il rend les hommes capables. Nous l’apporterons dans nos Eucharisties où Jésus en fera son Corps…

André Dubled

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